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avec marx
2 février 2019

Gilets jaunes : quelques observations réfléchies à l’occasion de « l’assemblée des assemblées »

Gilets jaunes : quelques observations réfléchies à l’occasion de « l’assemblée des assemblées »

L’Appel de l’Assemblée des assemblées vient de sortir [1]. Nous y étions présents. Mais un problème surgit : les militants politisés, en se rapprochant depuis un certain temps des gilets jaunes – ce qui est très bien –, étaient près de la moitié des délégué·e·s. Nous étions absolument pour cet appel et avons insisté pour qu’on le rédige. Mais il y a une difficulté : il faudra maintenant le défendre sur les ronds-points ! Et c’est à cela qu’il faut s’atteler, le défendre sans l’asséner, le rendre vivant. Et formuler un « discours », une « narration » qui rendra le programme « assimilable » et « répercutable », pour que des Gilet Jaunes (GJ) puissent dire, sur des modes divers : « Ce programme dit ce que l’on pense, on va le faire rebondir avec nos paroles et “l’histoire” de nos vies et besoins, donc des droits que nous exigeons. » Autrement dit, il s’agit de créer une « transition » et non pas de proclamer le programme comme une proclamation qui en fait, pour desdits « trotskystes », un strict « modèle exemplaire » pouvant majorer politiquement – à partir d’un « exemple concret, cité 1000 fois » – leur vision du processus effectif de la mobilisation sociale actuelle.

Dans ma région du Nord – on la connaît – il y a plusieurs petites villes dans un rayon de 10 km, 5 ou 6 fois 2000 à 8000 habitants. Le rond-point de Sainte-Marie – cela ne s’invente pas ! – est le site qui réunit tous les « petits ronds-points » montés sur des endroits pas intéressants. Ils se regroupent là. Il y a aussi un péage plus loin, mais trop décentré, pour y faire autre chose que des actions.

Ce rond-point de Sainte-Marie – qui ne prie pas pour eux – réunit depuis deux mois environ 200 qui viennent épisodiquement, c’est « une famille » comme « ils disent » Un « staff » s’est formé, avec des porte-parole. Il n’y a jamais d’Assemblée générale effective. La demande a été formulée, mais la réponse – ­ou l’excuse ? – est la suivante : « on est jamais les mêmes, sauf le staff, plus ou moins », « c’est trop difficile », donc des porte-parole sont nécessaires ; des porte-parole de qui ou pour qui ?

Et en partie, les excuses, sont vraies : « il n’y a jamais les mêmes ». Mais ce manque d’Assemblée générale – même changeante comme toutes les AG d’un mouvement – ne peut que discréditer une décision. Elle est prise par qui ? Pourquoi ce porte-parole résume « ce qu’il pense » ?

Néanmoins, la majorité des présent·e·s ne comprend pas qu’un fonctionnement plus concrètement collectif – et pas familial qui a ses hiérarchies spécifiques, formatées dans ce type de collectif qu’est la famille, même élargie, selon les lieu et période historiques – les protège d’une partie des vices de l’autorité. Ce d’autant plus face à la contre-offensive de Macron et des opérations politiciennes dans la perspective des élections européennes ; sans même mentionner l’effet politique boomerang d’un résultat qui placerait le Rassemblement national au premier rang et stimulera une lecture cul par-dessus tête – à coups d’assommoir médiatique – du mouvement de GJ.

Et un nombre certain de participant·e·s différents selon les régions et les ronds-points, entre autres dans le Nord – mais pas seulement c’est aussi le cas dans une région comme celle de Bourg-en-Bresse ou Bellegarde –, sont meurtris socio-psychologiquement, suite à « une vie de surnuméraires » comme l’écrivait Marx dans Le Capital, « chronologiquement » avant Robert Castel dans La Métamorphose. Cela ne facilite pas la confiance « de l’atelier » du petit rond-point et cela nourrit l’attente d’un rendez-vous familial, avec la reproduction des règles, des habitus et des conflits, etc. Mais, simultanément, le rassemblement produit un « collectif » le un « lieu de vie partagé » – momentané, chaleureux. Il fonctionne contre la galère de tous les jours. Et souvent, les « membres du staff » sont soit des « surnuméraires » (RSA, par exemple), soit des petits artisans à la retraire ou des petits commerçants qui ont dû fermer, car la désertification socio-géographique et les supermarchés ont joué leur rôle respectif. D’où des tonalités fort différentes parmi les « porte-parole » et la différence de présence les jours de semaine que le rassemblement du week-end. Cela relève de la logique physiologique d’un tel mouvement « venu d’ailleurs ». En fait, composé de cette population non représentée, mais vraiment d’ici, donc de cette France tailladée et élaguée, suite à 25 ans de politiques néolibérales et conjointement néoconservatrices.

Un exemple sur les implications du « fonctionnement ». Dans le Nord, nous ne sommes pas encore parvenus à convaincre les participant·e·s de fixer une heure, la même, hebdomadairement. Le « staff », comme dans une « famille » peut exclure, censurer une prise de parole, etc.

Par contre, là où ça fonctionne, les décisions sont prises collectivement, par ceux et celle qui sont là. Et « là où ça fonctionne » a surgi – nous avons pu le constater dans des régions fort diverses – une culture de la délibération et de la libération qu’expriment ceux et celles qui se trouvent dans des « coins » où on discute, où « on refait le monde ».

Par contre, là où s’impose la hiérarchie indiquée ci-dessus, de facto, le collectif tend à ne pas avoir de vie réflexive car la délibération est marginalisée et donc l’appropriation majoritaire de la parole.

Il faut saisir, certes, le développement inégal, régional et local. Mais se renforce le besoin de débattre, ne serait-ce que sous la contrainte du « grand débat national » ; de l’initiative des « foulards rouges » – pro-macron pour l’essentiel des 10’000 mobilisés, selon les chiffres de la police ; de la répression très brutale ; des changements de loi en cours de débat, changements anticipés dans la pratique par Christophe Castaner, le ministre de l’Intérieur. Ainsi, le droit de fouiller avant une manifestation ne relève plus du judiciaire, mais du préfet, donc des ordres donnés par Castaner et Macron, ce qui est en rupture avec la loi de 1970. Il s’agit d’un mouvement social important, et non pas d’un groupuscule de fanas qui vont casser lors d’un match du PSG. Et eux sont simplement interdits d’assister au match. Rien d’identique.

Et le débat s’impose aussi en relation avec la mise en place des fichiers par une relance des RG (ce ne sont pas des « terroristes ») et les manipulations conjointe de LREM (le « en ordre de marche » de Macron). Nous reviendrons sur le rôle des femmes dans cette mobilisation.

Charles-André Udry et Karl Grünberg, 28 janvier 2019


P.-S.

• Publié par A l’encontre le 28 janvier 2019 :
http://alencontre.org/europe/france/france-lappel-de-lassemblee-des-assemblees-et-quelques-observations-reflechies.html

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