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avec marx
3 février 2019

PRANTL Heribert - Allemagne. Quand l’idéologie brune ressurgit au Parlement

Allemagne. Quand l’idéologie brune ressurgit au Parlement

mercredi 30 janvier 2019par PRANTL Heribert Süddeutsche Zeitung

Le 23 janvier, au Parlement régional de Bavière, les députés d’extrême droite ont quitté l’hémicycle lors de la commémoration de la libération du camp d’Auschwitz. Un éclat révélateur de la résurgence de l’antisémitisme en Allemagne, qui inquiète un grand quotidien de Munich.

Plus jamais ça – tel est le message des journées de commémoration. Il n’est pas censé servir uniquement le jour des commémorations ni devenir une figure de rhétorique. Le 27 janvier n’est donc pas seulement une journée endeuillée par le retour sur le passé nazi, c’est aussi une journée empreinte d’inquiétude sur le présent. Plus jamais ça ? Mais ça recommence ! Ça dure encore.

La “journée à la mémoire des victimes du national-socialisme” commémore la libération du camp d’Auschwitz le 27 janvier 1945. Elle rappelle que le chemin conduisant à la Loi fondamentale [la Constitution allemande, adoptée le 8 mai 1949] passe par l’enfer des camps de concentration et qu’il est jonché de millions de personnes battues à mort, exécutées, gazées, torturées, anéanties. Elle rappelle que le genre humain a été privé de toute humanité et a plongé dans la bestialité sous l’impact des nationalismes [allusion à l’écrivain autrichien Franz Grillparzer, qui trace une ligne directe de l’humanité à la bestialité en passant par le conflit des nationalités au XIXe siècle]. Et elle nous inquiète, espérons-le, car le nationalisme est en train de terriblement resurgir.

Des députés AfD dans tous les Parlements

Cette journée de commémoration rappelle qu’il existe actuellement un parti [Alternative pour l’Allemagne, AfD, extrême droite, 92 députés au Bundestag depuis les élections législatives de 2017] avec un électorat à plus de dix pourcents [12,6 %], dont le président [Alexander Gauland] qualifie la bestialité de “fiente d’oiseau” dans l’Histoire de l’Allemagne. Pour ce parti [et nommément Björn Höcke], ce n’est pas la Shoah qui est une “honte”, mais le monument érigé [au cœur de Berlin] à la mémoire des victimes de la Shoah. Pour la première fois depuis la fondation de la République Fédérale d’Allemagne sur le champ de ruines laissé par les nazis, tous les parlements du pays [fédéral et régionaux] comptent un parti où les nazillons sont chez eux. Un parti dont les membres, pas tous certes mais beaucoup, se plaisent à manier les vieilles et brutales certitudes de l’idéologie brune.

Le discours raciste et nationaliste y trouve un écho grandissant et ses rassemblements sont l’occasion de faire applaudir avec enthousiasme la banalisation des crimes nazis, l’insulte à l’égard des Juifs, le mépris envers les Musulmans, l’opprobre jeté sur les Turcs “gardiens de chameaux” [ainsi qualifiés par André Poggenburg] et de s’en prendre violemment aux réfugiés. Le 27 janvier, les députés de ce parti aiment à se faire remarquer, à se tenir en retrait des cérémonies, parfois en ricanant, toujours en trépignant, sûrs de leur bon droit.

Les doutes de Charlotte Knobloch, survivante de la Shoah

Les députés de l’AfD, qui viennent de faire leur entrée au Parlement de Bavière [aux législatives d’octobre 2018], ont quitté l’hémicycle lorsque Charlotte Knobloch, la présidente de la communauté juive [de Munich], a dénoncé le racisme du parti à la tribune. Qui peut, sinon cette femme, qui doit, si ce n’est elle, le dénoncer ? Qui d’autre, plus que cette survivante de la Shoah, se doit de faire entendre ces critiques aux députés de l’AfD, qui se réclament de la démocratie et de ses fondements ?

Toute sa vie, Charlotte Knobloch a cru à la cohabitation des religions en Allemagne. Mais face aux succès de l’AfD, elle a récemment déclaré ne plus être certaine qu’il pourra encore y avoir une vie juive en Allemagne dans dix ans. Ces propos – à désespérer – se trouvent dans un livre qui donne la parole à 25 rescapés de la Shoah [Unfassbare Wunder (Des miracles incroyables), Alexandra Föderl-Schmid]. Un livre dans lequel on lit et on perçoit que la peur revient. Pourquoi ?

L’AfD a changé le pays, en mal. Certes, le parti a rendu visible ce qui était déjà existant : le racisme et l’antisémitisme, qu’on avait tort de qualifier de “résiduels”. Beaucoup de choses sont devenues non seulement visibles mais aussi dicibles. Ceux qui se refrénaient, ne se refrènent plus, ils se lâchent. La vague néonazie est sortie des réseaux sociaux, elle se répand jusque dans les commissariats. Elle met la pression dans les écoles, les théâtres, les associations, notamment dans les nouveaux Länder [l’ex-RDA].

Ne pas interdire le parti néonazi NPD fut une grave erreur

Les institutions qui luttent contre l’extrême droite doivent soudain se justifier devant l’extrême droite. C’est ce qui arrive à au grand Institut Goethe comme aux petites associations qui œuvrent pour la démocratie. Les gens qui s’occupent des victimes de la violence d’extrême droite sont menacés. Les gouvernements chrétiens-démocrates (CDU) de l’Est commencent à supprimer les subventions attribuées à ces projets. Serait-ce en prévision de futures coalitions avec l’AfD [notamment après les trois élections régionales qui se tiendront cet automne à l’Est] ? Les institutions de la société civile se demandent de plus en plus s’il ne vaut pas mieux annuler certains évènements voire ne pas les programmer du tout. Ce n’est pas le “sursaut des honnêtes gens” [auquel appela par exemple le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder en son temps], c’est le repli des honnêtes gens.

Le Tribunal Constitutionnel a contribué à ce recul. Il a commis une terrible erreur il y a deux ans en déclarant le [parti néonazi] NPD anticonstitutionnel – sans pour autant l’interdire, considérant qu’il était trop insignifiant pour être capable d’exercer une forte influence. Or c’est justement parce que le NPD était un groupuscule qu’il aurait dû être interdit. On aurait ainsi tracé la ligne à ne pas franchir pour tous les partis, petit ou grand.

L’Autriche de Sebastian Kurz, exemple à ne pas suivre

L’Autriche, qui s’est presque aussi peu penchée sur son passé que l’ancienne RDA, affronte, elle aussi, des problèmes de grande ampleur aujourd’hui. L’ÖVP [Parti du peuple autrichien, du jeune chancelier chrétien-social Sebastian Kurz] a formé une coalition gouvernementale [en décembre 2017] avec les populistes d’extrême droite [FPÖ, Parti de la Liberté, du vice-chancelier Heinz-Christian Strache]. En 2019, les nouveaux Länder [allemands] pourraient connaître des coalitions du même type entre laCDU et l’AfD. Que faire ? Il faut reprendre à zéro le travail sur le passé à l’Est et ne pas le laisser s’étioler à l’Ouest. Aucune mémoire n’est gravée dans le marbre, rien n’est jamais sûr. Démocratie, philosophie des Lumières, État de droit, respect des minorités – tout cela s’apprend, encore et toujours.


Heribert Prantl

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P.-S.

Courrier International

https://www.courrierinternational.com/article/allemagne-quand-lideologie-brune-ressurgit-au-parlement

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