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30 mai 2019

Didier Epsztajn - Ernest Mandel, les Ondes longues du développement capitaliste, Une interprétation marxiste

Inprecor
Informations et analyses publiées sous la responsabilité du Bureau exécutif de la IVe Internationale.

N° 612-613 février-mars 2015

NOTES DE LECTURE

Ernest Mandel, les Ondes longues du développement capitaliste, Une interprétation marxiste

Cf. aussi : [Mandel Ernest] [Economie]

Didier Epsztajn

Coédition Éditions Syllepse, M éditeur (Québec) et Formation Léon Lesoil (Bruxelles), Paris 2014, 25,00 €

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Refuser tout automatisme dans la dynamique à long terme du capitalisme

 

Le mode de production capitaliste n’est ni lisse, ni uniforme, ni invariant dans le temps. Il convient donc d’en comprendre les différentes périodes, le pourquoi des retournements (alternance de phases expansives et de phases récessives), les fonctionnements spécifiques de chaque période... Dans sa préface, Daniel Bensaïd rappelle qu’Ernest Mandel fut « parmi les premiers à saisir la portée historique du retournement, de cycle ou d’onde, intervenu au milieu des années 1960-1970, et à en donner une interprétation complexe non réductible, comme le fit l’économie vulgaire, à un effet mécanique de la « crise pétrolière » de 1973 »et insiste sur les causalités qui ne sauraient être réduites à « la seule causalité mécanique et linéaire classique de cause à effet ». Au-delà des apports de Mandel, Bensaïd critique « l’opposition entre les facteurs “endogènes” (économiques) qui détermineraient le retournement de l’onde à la baisse, et les “facteurs exogènes” (extra-économiques) qui en détermineraient le retournement à la hausse, reste cependant tributaire d’une séparation trop formelle entre économie et politique, objectivité et subjectivité », un « rêve de formalisation sans doute inaccessible, dans la mesure où il se heurte aux effets complexes de la discordance des temps ». Les outils conceptuels légués par Ernest Mandel peuvent nous aider à déchiffrer les contradictions du présent.

Outre cette préface, le livre propose une introduction de Francisco Louça, qui parle, entre autres, des tendances économiques et sociales, des « transformations structurelles au cours de la quatrième onde longue qui suit la Seconde Guerre mondiale », des conditions de retournement dans l’onde longue, de l’autonomie des processus politiques et sociaux, de la nécessité d’une « explication historiquement intégrée » des facteurs comme les rapports de travail, l’innovation technologique, les institutions politiques... Il rappelle que « les rapports économiques ne sont qu’un aspect de rapports sociaux complexes » et qu’ils « se combinent avec de nombreux autres facteurs relativement autonomes ». Il souligne la nécessité d’une analyse historique et insiste sur les modes « de coordination des économies et des sociétés ».

 

Du texte d’Ernest Mandel, je choisis de n’aborder que certains aspects. L’auteur discute de nombreux points, se confronte à de multiples critiques. Il nous parle de fluctuations du taux moyen de profit, de baisse tendancielle de celui-ci, d’accumulation capitaliste, de variables partiellement autonomes, de salaires réels, de composition organique du capital, de rotation du capital, d’ondes longues expansives...

Il souligne qu’il faut se confronter aux trois tournants décisifs dans l’histoire du capitalisme (après 1848, après 1893 et après les années 1940) débouchant « sur des redressements soudains et durables du taux moyen de croissance économique » et discute des luttes et des défaites ouvrières, de la place des révolutions technologiques, des particularités des différents cycles industriels, de la prolétarisation du travail scientifique (dimension autrement pertinente à mes yeux que les fantasmes de capital cognitif), de « la dialectique des facteurs objectifs et subjectifs ». Il nous rappelle que les « facteurs subjectifs » ne « sont pas directement et inévitablement prédéterminés ».

L’issue d’une onde longue dépressive ne peut être prédéterminée. Il y a là une certaine asymétrie avec des contradictions spécifiques jouant dans les périodes expansives et débouchant sur des crises, l’auteur parle d’un « rythme fondamentalement asymétrique ». Il détaille l’onde longue d’après la Seconde Guerre mondiale, « nullement fictive, mais bien réelle ». Il analyse le rôle du crédit, la place réelle de l’automation, de l’informatique, trop souvent surestimée.

Il insiste sur les périodes historiques spécifiques, « segments de l’histoire générale du mode de production capitaliste », et montre que la « volte-face de l’économie politique » des années 1970, avant la naturalisation de l’économie et donc la négation du « politique » est le « produit d’une réorientation fondamentale de la classe capitaliste dans la lutte de classes ».

L’auteur parle aussi des taux de croissance, des effets cumulatifs des changements, d’accroissement du taux de profit et d’élargissement du marché, des faits et des possibilités, des « effets civilisateurs des luttes de la classe ouvrière pour la diminution de la journée de travail », de la notion de « sous-systèmes technico-économiques », des migrations, de cycle de luttes de classes... Il indique que si « le capital a un pouvoir sans partage sur les usines et les machines, il n’a pas un pouvoir sans partage sur le travail vivant » – il s’agit là d’une des contradictions de ce mode de production. Selon lui « le taux moyen de profit est certainement un résultat social de décisions privées, et un résultat social qui ne devient apparent qu’après un certain laps de temps ». Il parle du « travailleur salarié libre (pas esclave) », des mécanismes économiques qui ne peuvent « engendrer la résignation automatique, la passivité et la subordination à cent pour cent du travail salarié face au capital ». Il termine sur le taux de profit comme « résultante de l’action de tous les mécanismes propres au système » et sur l’interaction des « contradictions fondamentales du système ».

Mandel n’a jamais renoncé à une issue socialiste, c’est-à-dire « l’appropriation par les producteurs de leurs moyens de production ; leur utilisation planifiée pour la satisfaction des besoins, et non pour la recherche de profits ; la détermination des priorités de la planification par la loi de la majorité, par des processus démocratiques comportant toutes les libertés démocratiques d’information, de choix, de débats, de contestation et de pluralisme politique ; la gestion de l’économie par les producteurs associés eux-mêmes et celle de la société par ses citoyens, organisés démocratiquement en structure d’auto-administration ; le dépérissement accéléré de l’appareil d’État bureaucratique, hypertrophié et coûteux ; la réduction rapide des inégalités de revenus, du rôle de l’argent et de l’économie de marché ; la diminution rapide de la journée de travail, sans laquelle l’autogestion et l’auto-administration ne sont qu’utopie ou fumisterie... »

Le livre se termine sur une remarquable postface de Michel Husson, qui indique le lien entre capitalisme néolibéral et phase récessive dont « le trait spécifique essentiel est la capacité du capitalisme à rétablir le taux de profit malgré un taux d’accumulation stagnant et des gains de productivité médiocres », et l’absence de la conjonction des conditions de passage à une nouvelle onde expansive. Il parle d’une période de « régulation chaotique » et revient sur la notion d’onde longue, différente de la notion de cycles : « L’idée clé est ici que le passage à la phase expansive n’est pas donné d’avance et qu’il faut reconstituer un nouvel “ordre productif” ».

Il aborde la déconnexion entre différentes variables, profit, accumulation, productivité, pour souligner une « configuration inédite » dans la phase néolibérale. La restauration du taux de profit depuis le tournant néolibéral n’a pas entraîné une augmentation « durable et généralisée de l’accumulation ». Il revient sur la dynamique du taux de profit, la composition organique du capital, celle-ci ne s’élevant « que si la composition technique du capital croît plus vite que la productivité du travail » et indique, « il faut que la manière dont se rétablit le taux de profit apporte en même temps une réponse adéquate à d’autres questions portant notamment sur la réalisation du produit ».

Husson montre que les modalités de fonctionnement d’un « nouvel ordre productif » doivent combiner « un mode d’accumulation du capital qui règle les modalités de la concurrence entre capitaux et du rapport capital-travail ; un type de forces productives matérielles ; un mode de régulation sociale : droit du travail, protection sociale, etc. ; le type de division internationale du travail.» Il insiste particulièrement sur la productivité, « C’est au contraire parce que la productivité – en tant qu’indicateur de profits anticipés – a ralenti, que l’accumulation est à son tour découragée et que la croissance est bridée, avec des effets en retour supplémentaires sur la productivité ».

Husson souligne aussi la baisse de la part des salaires dans le revenu mondial, discute du progrès technique, de la concentration du capital, « 147 multinationales possèdent 40 % de la valeur économique et financière de toutes les multinationales du monde entier », du scientisme de certains marxistes, des alternatives ouvertes à chaque grande crise, dont le renversement du capitalisme. Il conclut sur l’absence d’automatisme dans la dynamique à long terme du capitalisme. ■

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