HABAY Laurence - Quand la vox populi en Russie finit par s’imposer

2 juin 2019

HABAY Laurence - Quand la vox populi en Russie finit par s’imposer

Quand la vox populi en Russie finit par s’imposer

vendredi 24 mai 2019, par HABAY Laurence

Les citoyens ordinaires de Russie ont de moins en moins peur de manifester leur désaccord avec les décisions de diverses autorités. Et ils peuvent même, lorsque leurs revendications ne sont pas directement d’ordre politique, obtenir gain de cause. Comme l’ont montré ces derniers jours les événements autour de la construction d’une cathédrale à Ekaterinbourg et de la gagnante du concours The Voice kids.

Le plus important institut de sondage de Russie, le Centre d’étude de l’opinion publique (VTSIOM), a publié le 22 mai les résultats de son enquête effectuée à Ekaterinbourg concernant la construction d’une cathédrale sur l’emplacement d’un parc municipal au centre de la ville. Il en ressort, rapporte le quotidien Kommersant, que 74 % des personnes interrogées y sont opposées, et que 10 % seulement considèrent le lieu pressenti comme adéquat.

Pour rappel, du 13 au 16 mai, les habitants attachés à la conservation du parc avaient manifesté en nombre, estimant que l’écologie et le confort urbain primaient sur le culte, et qu’un autre site devait être choisi pour ce chantier. Une centaine de personnes avaient été arrêtées, après quoi le président Poutine, interpellé sur la question, avait suggéré aux autorités locales de procéder de manière “démocratique” et d’organiser un sondage. Sur ce, le chantier avait été suspendu.

Après la publication des résultats du sondage, le gouverneur de la région de Sverdlovsk, Evguéni Kouïvachev, a estimé que des “erreurs avaient été commises concernant le choix du site” et que “les conditions étaient réunies pour exclure ce parc de la liste des emplacements possibles” pour l’édification de la nouvelle cathédrale Sainte-Catherine.

Réunis en conseil chez le représentant spécial du Kremlin pour le District fédéral de l’Oural Nikolaï Tsoukanov, des hauts fonctionnaires fédéraux et régionaux ont reconnu que le conflit n’avait “pas de caractère interconfessionnel”, et décidé “d’étudier plus attentivement l’avis des habitants pour leur permettre de choisir le site du chantier de construction de la cathédrale”.

Le dialogue et l’écoute sont possibles

Pour le politologue Konstantin Kalatchev interrogé par Kommersant, il s’agit d’un succès pour la société civile :

“Cet épisode a montré que le pouvoir était prêt à dialoguer et à écouter les gens si leurs revendications ne sont pas d’ordre politique. En choisissant un autre site, tout le monde est gagnant : le centre fédéral comme les autorités régionales – personne n’a perdu la face”.

Entre-temps, rapporte le quotidien en ligne Gazeta.ru, la municipalité d’Ekaterinbourg a reçu, depuis le 20 mai, près de 6000 messages faisant des propositions de sites de la part des habitants. Au bout de dix jours de collecte, un vote aura lieu.

Une forte demande d’équité

Ce conflit régional est symptomatique de d’époque actuelle en Russie où les citoyens ordinaires, parfois relayés par des associations, n’hésitent pas à tenir tête aux figures d’autorité, qu’elles soient régionales, religieuses ou médiatiques.

“Troubles autour des questions territoriales en Ingouchie (depuis l’automne 2018), manifestations contre les décharges publiques, protestation contre la cathédrale à Ekaterinbourg – impossible de ne pas remarquer ces zones d’instabilité”, commente le magazine Expert. Avant de prédire que “ce genre d’histoires ne va faire que se répéter” puisque :

“En ce moment, la population manifeste le désir de défendre ses droits collectifs – conséquence en acte de la demande d’équité” face aux “intérêts monolithiques des élites”.

Une autre polémique publique a révélé récemment l’impact que peuvent avoir de simples citoyens sur le cours des choses quand ils expriment massivement leur indignation. Il s’agit l’affaire The Voice kids : les téléspectateurs ont tellement protesté contre la victoire de la fille d’une star, que non seulement une enquête a été menée, mais que les résultats, dont la falsification a été démontrée, ont finalement été annulés.

Le peuple est capable de faire des évaluations justes

“Aux yeux de millions de téléspectateurs, cette jeune fille n’était pas la gagnante du concours. Absolument pas. Ils ont tous vu que cette victoire n’était pas honnête”, écrit une chroniqueuse du journal d’opposition Novaïa gazeta. Quel enseignement doit-on en tirer ? demande-t-elle.

“Que ce peuple excessivement endurant qu’est le peuple russe est capable de faire des évaluations justes et de faire preuve de ténacité dans la revendication de ce qu’il ressent.”

Et de conclure : “Il est de plus en plus difficile à l’époque actuelle, même dans un environnement totalitaire, de falsifier les choix populaires. Tout simplement parce que les gens ont à leur disposition de plus en plus d’instruments leur permettant de se connaître eux-mêmes, de savoir ce qu’ils pensent et ce qu’ils ressentent réellement”.

Laurence Habay

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