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10 janvier 2021

Marianne - "Seize mois : ce qu'il nous reste pour dépasser la gauche et la droite et vaincre Macron en 2022"

 

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"Seize mois : ce qu'il nous reste pour dépasser la gauche et la droite et vaincre Macron en 2022"
© Ilan Deutsch / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
"Seize mois : ce qu'il nous reste pour dépasser la gauche et la droite et vaincre Macron en 2022"

Tribune

Par Sacha Mokritzky

Publié le 04/01/2021 à 18:31

Sacha Mokritzky, rédacteur en chef du site "Reconstruire", ancien Conseiller national du Parti de Gauche, et co-auteur du livre « Retraites : impasses et perspectives », explique pourquoi, selon lui, la gauche est dépassée et les républicains attachés à la liberté et à l’égalité doivent se réunir en vue de construire un mouvement populaire.

Le bal des moustiques a commencé. 15 mois nous séparent de l’élection présidentielle, et déjà à gauche les nécromants s’affolent pour savoir qui lèvera le drapeau en 2022. L’un se pense investi d’un devoir profond envers le peuple car 150 000 citoyens ont parrainé sa candidature. L’autre refuse de voir que son Parti a sombré depuis bien longtemps déjà dans les limbes de l’histoire politique. Et voici le héraut vert du capitalisme qui, fort d’une victoire à la Pyrrhus, se convainc à grand renfort de Coué qu’il est l’espoir du camp social. Ces gens, à force de n’incarner qu’eux-mêmes, résument la politique à une course de petits chevaux où, de matinale en matinale, chacun avance ses pions et se désintéresse des enjeux au profit de l’inélégance tacticienne. Et chacun, à son niveau, d’une façon plus ou moins assumée, croit ainsi incarner « la gauche ».

LA GAUCHE N'EXISTE PLUS

La gauche ? Celle de François Hollande, du CICE, de la TCSG, celle de la loi travail et de la mort de Rémi Fraisse ? Celle des « puristes », du trotskisme et de la lutte des classes fantasmée ? Celle du capitalisme vert et de la croissance immodérée dans un monde fait de bacs à tri sélectif ? Celle de Manuel Valls, qui fit mettre à la porte Leonarda, oubliant les règles les plus décentes de la Patrie des lumières, ou de son pendant bien-pensant qui, cachée sous ses tabous, préfère fournir une armée de réserve au capital plutôt que de mettre fin à la souffrance mutuelle de l’immigration ? Celle des laïcards immodérés du Printemps républicain qui se vautrent sous couvert d’universalisme dans une laïcité fantasmée et incomprise qui ouvre un boulevard au Rassemblement national ? Celle de Jean-Luc Mélenchon, qui oscille entre une offre républicaine certaine et un sociétalisme béat, puisqu’il n'a d'ambition que celle de contenter ses militants, sans que son souci du peuple ne reparaisse ? Celle des « progressistes » macronistes qui acceptent de voir souffrir les travailleurs au profit du marché libre, tant que leurs réformes sociétales leur donnent bonne conscience ? Mais n’y a-t-il pas dans ce pays un instant pour la raison, un espace pour la défense sincère de tous et de toutes, une seconde où l’on pourrait arrêter la gabegie pour construire ensemble, dans un monde qui court à sa perte, une porte de sortie vertueuse où l’intérêt général primerait enfin ? Disons-le sans amertume : c’est parce que nous sommes fiers d’être de gauche que nous devons être fiers de lui dire adieu.

"Les gens ordinaires surgissaient en un grondement difforme"

Il y a dans ce pays une colère profonde, un rejet immodéré de l’ordre établi, profondément injuste, et ce, quel que soit le Parti au pouvoir. Il y a aussi une volonté jamais atteinte de reconstruire, de refonder un projet collectif commun autour des valeurs d’une République atteinte en son cœur par les débats qui la déchirent. Cette colère est prégnante, intrinsèquement liée à chaque à-coup que donnent au pouvoir politique les citoyens qui se reconstituent, si ce n’est en nation, du moins en un corps politique vivant et fier. Le 17 novembre 2018 éclatait en France le mouvement social le plus déflagrateur des dernières décennies. Incarné par ce signifiant qu’était le gilet jaune personnifié par des citoyens sortis de l’ombre pour porter la voix des faibles : Éric Drouet, François Boulo, Jérôme Rodriguez, Priscillia Ludosky. Défiant envers tout type de pouvoir, il n’en restait pas moins l’éruption d’une volonté certaine de renverser la table pour imposer aux élites dirigeantes un nouveau modèle de société. Un an et demi plus tard, les syndicats étaient débordés par ce malaise profond d’une France en crise, et ne parvenaient pas à contenir le souffle citoyen lors du mouvement contre la réforme des retraites. En mars, les solidarités se recréaient, l’utilité sociale des métiers était renversée par la si terrible épidémie qui nous assomme et conduit nos vies encore aujourd’hui.

Tout au long de ce processus, le désengagement des urnes se faisait ressentir. Les élections étaient boudées, les responsables politiques heurtés dans leurs dogmes, les idéologues bouleversés par la reprise en main par les Français eux-mêmes de leur propre ligne de pensée. Les gens ordinaires surgissaient en un grondement difforme, bref : le peuple s’affranchissait des chaînes de l’ordre et se donnait à voir comme un tout majestueux. Et la « gauche », pourtant certaine qu’elle était seule à pouvoir incarner cette colère, se retrouvait à faire des pieds et des mains pour que ceux qu’elle avait abandonnés lui accordent à nouveau du crédit.

APRÈS LA GAUCHE

L’heure est au dépassement, sans compromis. Il n’est pas question de nier l’histoire sociale d’un camp politique fier de ses convictions. Les héros du passé nous donnent un horizon. Il est pourtant nécessaire de redonner un nouveau souffle à l’Histoire en incarnant, en vue d’une présidentielle dont on ne peut se défaire, sauf par les armes (et il n’apparaît pas que cette solution est possible), un projet qui fédère autour de la grande idée de l’intérêt général. L’intérêt général français, déjà, puisque la reconquête de notre souveraineté, industrielle, énergétique, économique, démocratique, semble au cœur des préoccupations populaires. L’intérêt général humain, intransigeant sur le respect de l’individu et de ses droits, porté sur l’émancipation de tous et de toutes au sein d’une société qui n’en peut plus de diviser. Personne n’a de formule magique, le combat politique en perdrait son sens, et l’incantatoire ne suffit pas. Dans ce moment de politisation extrême de la société qu’est l’élection présidentielle, une candidature qui puisse incarner l’alternative au match Le Pen - Macron qu’on nous prépare ne peut être qu’une candidature de rupture apaisée. Une candidature d’apaisement, car le pays souffre d’un malaise profond, et seul pourra incarner la réponse à ce malaise un projet qui rassure et qui protège. Une candidature de rupture, car la violence des classes gouvernantes nécessite d’être répudiée sans concession, si l’on veut voir revenir aux urnes ceux qui n’y croient plus.

La « gauche » n’existe plus au sein de la société. La colère qui aurait dû être sa matrice a trop souvent trahi. Chez nos voisins britanniques, le libéral-conservateur Boris Johnson a fait plus pour les classes laborieuses que ses prédécesseurs travaillistes. En France, les analyses de Christophe Guilluy - penseur socialiste par ailleurs - se donnent à voir quotidiennement. Les citoyens de la France périphérique recréent leurs propres cadres d’action, les solidarités concrètes se reforment dans les villages, les villes moyennes deviennent les nouveaux terrains du socialisme concret. Tout au long de la crise sanitaire, et plus avant durant le mouvement des Gilets jaunes, ceux-là redonnaient ses lettres de noblesse à la common decency chère à George Orwell. Les gens « qui ne sont rien » sont redevenus « tout »  car ils ont recréé par eux-mêmes les conditions de leur émancipation, en se libérant des chaînes d’un monde politique monolithique dont le système même empêche que la parole citoyenne soit entendue.

"Il est urgent de repenser dans son intégralité le contenant républicain"

Les mêmes qui prônent un populisme « de gauche » s’enferment dans l’inanité de leur propre tactique et ne comprennent plus rien aux véritables forces transversales qui bouleversent la société. Emmanuel Macron croit se parer de démocratie en convoquant des grands débats et des conventions citoyennes, en promettant un référendum vide de tout sens, et derrière se prémunit de la parole populaire en gouvernant par décrets. Alors gauche et droite ne veulent plus rien dire. Sur le plan moral, peut-être permettent-ils de distinguer conservateurs et progressistes. Mais sur le plan social, sur les grands enjeux de reconquête économique, de redistribution des richesses, de réaffirmation du socle républicain et de la souveraineté populaire, le véritable clivage s’est dissipé. Ce qui était faussement divisé s’est réuni : la gauche libérale et la droite de l’argent s’épousent en un mariage détestable qui eût paru contre-nature à nos aïeux socialistes. Lorsque le pays subit une crise globale, politique, sociale, économique, telle que celle qui le traverse aujourd’hui, le rôle du politique n’est pas de se figer dans ses vieux logiciels. Il est urgent de repenser dans son intégralité le contenant républicain. Il faut réécrire ensemble toutes les règles. Ensuite, et seulement si la République permet enfin que le peuple ait voix au chapitre, pourrons-nous revenir aux vieilles querelles de chapelle dans un monde politique défait de sa perversité.

GOUVERNER EN 2022

Si le camp républicain, profondément attaché à la liberté et à l’égalité de tous et de toutes au sein d’une société vertueuse, veut avoir une chance de gouverner en 2022, la dynamique autour de son candidat doit être la dynamique d’une campagne législative. Il n’est plus question que la France ait un manager. La France a besoin d’une figure qui se soumette entièrement à elle. Un député plus qu’un président. Quelqu’un qui incarne la France périphérique face au règne des énarques, qui la connaisse, la chérisse. Puisse ce candidat exister. Louis-Antoine de Saint-Just posait la question ainsi : « Tout le monde veut gouverner. Personne ne veut être citoyen. Où est la Cité ? » Voilà la question à laquelle nous devons répondre : la candidature qui permettra au peuple de reprendre le pouvoir sera la candidature qui s’intéressera plus à redonner les clés de la Cité à son véritable souverain qu’à la perspective ambitieuse de s’arroger les ors du pouvoir.

"Va, gauche, je ne te hais point"

Il ne s’agit pas d’incarner une centralité artificielle ainsi qu’a cru pouvoir le faire Emmanuel Macron. Il s’agit de s’émanciper de ces mots dont la société s’est lassée pour s’adresser d’abord à un pays qui souffre pour le refonder autour de ses principes bâtis par nos aïeux : liberté, égalité, fraternité. Voilà ce qui est écrit sur le fronton de nos mairies, voilà les valeurs fondatrices de la Révolution, celle qui coupa la tête des rois et rétablit la souveraineté du peuple, par le peuple et pour le peuple ! Voilà quels sont les mots qui doivent guider un français dans son engagement ! Voilà longtemps que la droite et la gauche n'évoquent rien dans l’esprit des gens ordinaires sinon les labels et les étiquettes d’une classe politique en manque d’idées. Nous avons 16 mois. 16 mois pour rebâtir. 16 mois pour refonder. 16 mois pour reconstruire. Il est encore temps pour une candidature vertueuse d’émerger en se débarrassant des vieux poncifs et en écartant une bonne fois pour toutes les éléphants du vieux monde qui se raccrochent aux radeaux laborieux. Il est temps d’arrêter de gémir. Il est temps d’espérer.

Va, gauche, je ne te hais point.

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