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4 février 2019

David Mandel - RUSSIE - Le régime Poutine : une « démocratie dirigée » (2/2)

Inprecor
Informations et analyses publiées sous la responsabilité du Bureau exécutif de la IVe Internationale.

N° 505-506 mai-juin 2005

RUSSIE

Le régime Poutine : une « démocratie dirigée » (2/2)

Cf. aussi : [Russie]

David Mandel

Suite de l'article.

PERSPECTIVES

Pour l’avenir immédiat le scénario le plus probable reste le même : une « démocratie dirigée » avec une accentuation de la « direction ». Pour le moment l’administration et la bourgeoisie semblent unies autour de cette option, de même qu’autour de la personne de Poutine, bien que cela pourrait changer si Poutine cessait d’être perçu comme le garant de la stabilité. L’élection présidentielle de 2008 sera évidemment un moment critique, car la Constitution actuelle ne permet pas à Poutine de se présenter pour la troisième fois. Il y a beaucoup de spéculations au sujet de ses intentions, certains prédisant qu’il ne voudra pas céder la place. L’alternative pour lui serait de suivre l’exemple d’Eltsine : chercher un successeur approprié et lui construire une image populaire.

 

Un glissement vers une dictature pure ne semble pas être souhaité actuellement. Il serait difficile pour les dirigeants occidentaux — qui dans l’ensemble sont satisfaits de Poutine — de le justifier chez eux. Ce serait aussi difficile pour le Kremlin, qui a cherché sans succès une « idée nationale » (intangible dans un pays où les élites politiques et économiques sont à ce point exemptes de vertus civiques), de le justifier en Russie même. Le Kremlin et la bourgeoisie ont été visiblement déconcertés par les récentes « révolutions de couleur » et par les protestations des retraités russes. Ces dernières ont montré qu’en Russie aussi les classes populaires sont capables de se mobiliser (en dépit de l’absence de mouvement ouvrier organisé, tout comme il fut absent de la « révolution orange » ukrainienne). Mais jusqu’ici aucune alternative politique, qui pourrait canaliser le mécontentement, n’a émergé et le Kremlin fait de son mieux pour s’assurer qu’elle n’émergera pas.

 

On peut cependant s’attendre à ce que la dérive autoritaire se poursuive. En partie c’est une réaction nerveuse après les « révolutions de couleur ». Mais le renforcement du contrôle de la société est bien plus une réaction bureaucratique typique, et en fin de compte futile, aux faiblesses propres du régime, c’est-à-dire à sa capacité limitée de réaliser les buts qu’il s’est fixé, qu’il s’agisse de la pacification de la Tchétchénie et de la prévention que le conflit ne se diffuse au cœur de la Russie, de la restructuration de l’économie et de l’attraction des investissements étrangers, de l’arrêt du déclin militaire et géopolitique, de la lutte contre la corruption et contre la criminalité violente, de la « réforme » des prestations sociales sans provoquer les protestations massives et le chaos, de la recherche d’une idéologie intégratrice pour la société… et on pourrait aisément poursuivre cette liste des échecs connus du régime.

 

Ce sont là des échecs politiques majeurs d’un régime qui pourtant a la bonne fortune de nager dans le pétrole à un moment de prix record. Ces échecs ainsi que le caractère intrinsèquement instable des « démocraties dirigées » doivent nous rappeler que la Russie n’est pas à l’abris des « révolutions colorées ». Quels changements réels de telles «révolutions » peuvent apporter en l’absence d’organisations politiques populaires et indépendantes avec leur propre programme — cela est une autre question.

 

 

Notes

1. Selon Martha Brill Olcott, expert de l’Asie centrale, le régime d’Akaev, malgré son autoritarisme et sa corruption, était considéré comme une « île de la démocratie » dans cette région dominée par les dictatures. Le Devoir (Montréal) du 3 avril 2005.

2. La secrétaire d’État états-unienne, Condolezza Rice, a déclaré lors du sommet Bush-Poutine à Bratislava en février 2005 : « Le message de Washington à Moscou a été cordial mais ferme en ce qui concerne ses craintes concernant l’accroissement de l’autoritarisme sous Poutine », selon Reuters, 28 février 2005 (cité d’après Johnson’s Russia List Archive www.cdi.org/russia/johnson). Quelques mois plus tôt une centaine de personnalités politiques et intellectuelles d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord avaient publié une « Lettre ouverte aux chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne et de l’OTAN » condamnant Poutine pour sa mise en danger de la démocratie russe. Cité par E. Kraus, Moscow Times, 6 octobre 2004.

3. Cf. M. Roche, La démocratie confisquée, L’Harmattan, Paris 2000.

4. Cf. D. Seppo, “Comment Eltsine a volé l’élection”, Inprecor n° 405, septembre 1996.

5. L’ancien économiste en chef de la Banque mondiale, écarté pour avoir mis en question le très néolibéral « Consensus de Washington », a dit à un journaliste que les privatisations promues par la Banque mondiale devraient être nommées plutôt « briberizations » (« corruptisations ») : les dirigeants nationaux parlent des conditions imposées par les institutions financières internationales pour justifier la vente des entreprises publiques, alors qu’ils perçoivent un lourd pourcentage qui est déposé sur des comptes bancaires suisses. Il a cité un des exemples les plus scandaleux de ces « loans for shares » (« prêts contre actions ») réalisés en Russie, un vaste don d’entreprises publiques en échange de ristournes qui ont servi à financer l’élection d’Eltsine en 1996. Selon Stiglitz, « le Trésor des États-Unis a considéré que c’était merveilleux, car nous voulions que Eltsine soit réélu. Nous ne nous préoccupions pas du fait que l’élection sera corrompue. Nous voulions que l’argent aille à Eltsine » (G. Palast, The Best Democracy Money Can Buy, Londres 2003, Robinson, p. 152.).

6. Pour un exemple de ces méthodes dans les élections récentes à Voronej, en mars 2005, voir Alexander Yagodkin, “Edinaya Rossiya i vybory v Voronezhskoi oblasti”, Novaya Gazeta, n° 21, 2005. Sur la fraude électorale lors de la seconde campagne présidentielle de Poutine, voir R. Colson, “TsIK Moves to Cut off Discussion of the Presidential Election”, RFE/RL Russian Political Weekly, vol. 4, n° 13, 7 avril 2004.

7. J. Bransten, “Public Chamber Criticized as ‘Smokescreen’” RFE/RL Russian Political Weekly, Vol. 5, n° 13, 1 avril 2005.

8. J. Page, “Judges Take Stand against Putin”, The Times du 19 mars 2005 ; P. Finn, “Putin Close to Winning New Power Over Judiciary”, Washington Post du 2 octobre 2004.

9. Larisa Nikitina, Yuri Kolesov, “Yuridicheskaya ugroza”, Vremya Novostei du 28 janvier 2005. Le président de la Cour suprême, V. Zorkine, a déclaré que « les résultats des réformes font que les juges sont maintenant plus corruptibles et plus dépendants du gouvernement » (V. Gryaznevich “Subjugated Court System Stifles Battle With Corruption”, St. Petersburg Times du 28 décembre 2004).

10. “Les deux tiers des Russes ne font pas confiance à la police, un aperçu” Reuters, 1 mars 2005 (repris de Johnson’s Russia List Archive : www.cdi.org/russia/johnson). Sur le non-respect de la loi et la brutalité de la police on peut consulter : Yu. Latynina, “Zvonok Putinu”, Novaya Gazeta n° 57, 2004.

11. M. Khairullin, “Izbityi gorod”, Novaya Gazeta n° 1, 2005.
12. A. Pavlova, “Mezhdu vlast’yu i obshchestvom”, Literaturnaya Gazeta n° 12/13, 30 mars 2005.
13. P. Rutland, “Russia : Democracy Dismantled” Jamestown Foundation Eurasia Daily Monitor, 10 janvier 2005. Les nominations doivent être confirmées par les législatures régionales, mais le président peut dissoudre une Chambre régionale qui refuserait trois fois de confirmer ses nominations.

14. Pour une explication de la faiblesse de la classe ouvrière, cf. D. Mandel, Labour After Communism, Labour After Communism, Black Rose Press, Montréal 2004, chapitres 1-3 ainsi que D. Mandel, “Russie : Les faiblesses du mouvement ouvrier”, Inprecor n° 443/444 de janvier-février 2000.

15. Pour son rôle dans l’affaiblissement de la dernière grande mobilisation ouvrière en été 1998, cf. D. Mandel, Labour After Communism, op. cit. pp. 112-121.

16. L. Shevstova, Putin’s Russia, Washington D.C. 2003, Carnegie Endowment for International Peace, pp. 190-91.

17. M. Shakina, “Vladimir Putin : the Agony of Right-Wingers”, RIA Novosti, 24 mars 2004, (repris de Johnson’s List, www.cdi.org/russia/johnson/8134-4.cfm). Voir également L. Shevstova, op. cit., pp. 50-52 et 183.

18. Cf. D. Mandel, Labour After Communism, op. cit., chapitres 3-5.

19. Il a dit lors d’une conférence organisée par la Chambre de commerce américaine en Russie (American Chamber of Commerce in Russia) : « Si ce n’avait pas été Youkos, une autre entreprise aurait été poursuivie pour évasion fiscale. Notre objectif central était d’apprendre aux entreprises à payer les impôts. » (Izvestia, 31 mars 2005)

20. “Kampaniya ‘Svobodu Khodorkovskomu’ zavershena”, Izvestia, 29 novembre 2003.

21. L. Shevtsova, op. cit., pp. 40-41.

22. Novaya Gazeta n° 68, 2004, p. 5.

23. P. Walsh, “Kremlin to restrict small political parties”, The Guardian du 15 octobre 2004.

24. L. Shevtsova, op. cit., pp. 104-109.

25. “The Last Stand for Russia’s Free Press”, The Guardian du 11 avril 2005.

26. “Russia’s Prisoner”, Wall Street Journal du 26 octobre 2004. Voir également l’interview avec M. Gorbatchev dans Nezavisimaya Gazeta du 18 février 2005. En se référant au manque du succès de son propre parti, il a expliqué : « Quelques hommes d’affaires ont voulu aider, mais certains du Kremlin ont arrêté les tentatives des entrepreneurs d’aider notre parti. »

27. Il faut mentionner en particulier : l’introduction d’un impôt sur le revenu uniforme de 11 % qui a augmenté le taux d’imposition de la plupart des travailleurs ; la réforme du Code du Travail qui a renforcé la domination des syndicats soumis au patronat ; le salaire minimum dont le montant n’est qu’une petite fraction du minimum vital ; la persistance encore répandue des retards de payement des salaires ; l’élimination graduelle des subventions aux services publics communaux et autres ; l’effondrement du système de santé qui conduit à une crise tant démographique que sanitaire ; la réduction des places gratuites dans l’éducation supérieure ; et on pourrait poursuivre…
28. P. Voshchanov, “Virtual’nyi prezident” Novaya Gazeta n° 23, 2005. Pour une analyse de la couverture télévisée des protestations contre la Loi 120, voir I. Petrovskaya, “The Regime and State TV Tangled in PR Trap”, Moscow Times du 26 janvier 2005.
29. cf. Ogonek, n° 2 du 22 mars 2005.
30. R. Shleinov, “Kto oplachivaet lyubov’ k prezidentu ?”, Novaya Gazeta n° 92, 2004 ; A. Osborn, “Putin Sets Up Youth Group to Stop ‘Orange Revolution’ in Moscow”, The Independent du 1 mars 2005.
31. N. Andreeva, “Ucheniki charodeev”, Novaya Gazeta n° 5, 2005.32. J. Bransten, “Public Chamber Criticized as ‘Smokescreen’”, RFE/RL Russian Political Weekly, Vol. 5, n° 13, 1 avril 2005.

33. V. Shlyapentokh, “The Short Time Horizon in the Russian Mind”, Johnson's List, n° 8338, 21 août 2004.

34. M. Lipman, “Russian Politics, Playing With Fuhrer”, Washington Post du 29 mars 2005. Voir également G. Bovt, “Xenophobia Is All the Rage”, Moscow Times du 10 février 2005.

35. A. Ostrovsky, “Russian MPs Seek Ban on Jewish Groups”, Financial Times du 25 janvier 2005.

36. J. Markoff, “Really Existing Democracy : Learning from Latin America in the Late 1990s”, New Left Review n° 223, 1997, pp. 59-66.37. Selon Transparency International, entre 1980 et 1985 l’Union soviétique était tout juste au milieu d’une liste de 54 pays, moins corrompue que l’Italie, la Grèce, le Portugal, la Corée du Sud et tous les pays en voie de développement, mais plus corrompue que tous les pays développés. En 1996, sur la même liste de 54 pays, la Russie était tombé à la 48-ème place, entre l’Inde et le Venezuela (V. Popov, “The State in the New Russia1992-2004 : From Collapse to Gradual Revival ?” PONARS Policy Memo n° 342, novembre 2004). A. Tchoubaïs, le ministre chargé des privatisations, a dit à un journaliste que les nouveau leaders du patronat « volent et volent… ils volent absolument tout… mais laissez- les, qu’ils volent et prennent leur propriété. Ils deviendrons alors propriétaires et bons administrateurs de leur propriété » (C. Freeland, J. Thornhill et A. Gowers, “Moscow’s Group of Seven”, Financial Times du 1 novembre 1996.

38. L. Shevtsova, op. cit., p. 21.

39. M. Lipman, “Russian Politics, Playing With Fuhrer”, op. cit.

40. C. Belton, “Putin Facing a Backlash From Business”, Moscow Times du 11 avril 2005.

41. “Murky Deals at Gazprom”, Business Week du 21 juin 2004. Voir également P. Voshchanov, “Vlast’ obeshchala poryadok i stala na poryadok bogache”, Novaya Gazeta n° 21, 2004.
42. Pour un exemple illustrant ce droit au vu et au su du Kremlin voir V. Izamilov, “Ego sdadut chtoby sokhranit’ sebya”, Novaya Gazeta n° 75, 2004

43. F. Weir, “Climate of Fear’ Puts Brakes on Russian Economy”, Christian Science Monitor du 3 février 2005.
44. “Political Forecasts (press review) — August in Russia : a Midsummer Night’s Dream of Politics”, WPS Observer, WPS Monitoring Agency (www.wps.ru/e_index.html), 18 août 2004 (traduit de Nezavisimaya Gazeta).

45. B. Nemstov et V. Pribylovskiy, “Prezident prostoi i lozhnyi”, Novaya Gazeta, n° 10, 2005.
46. “Kak delo Khodorkovskogo izmenilo Rossiyu ?”, Izvestia du 26 octobre 2004.

47. A. Piontkovskiy, “Tovarisch prezident”. C’est aussi le point de vue de E. Yasin, qui a été ministre du développement économique sous Eltsine (E. Yasin, “Demokraty na vykhod”, Moskovskie novosti, n° 44, 2003).
48. C. Belton, op. cit.
49. A. Ostrovsky et S. Wagstyl, “The Crackdown on Mikhail Khodorkovsky Has Many Causes, Not Least Kremlin Intrigue and Public Anger at the Wealth of the Oligarchs”, Financial Times du 31 juillet 2003.
50. M. Goldaman “Render Unto Caesar”, Current History, octobre 2003, p. 326.

51. A. Nikolaeva, O. Proskurnina, T. Yegorova, “Proshcheni za privatizatisyu”, Vedomosti du 25 mars 2005.
52. V. Dzaguto, “Nazad v SSSR”, Vremya Novostei du 11 mars 2005.
53. A. Badkhen, “Dark Story Behind Russia’s Billionaires”, San Francisco Chronicle du 21 mars 2005.
54. L. Shevtsova, op. cit., p. 272.

55. S. Belkovsky, “Khodorkovsky Has Scored a Moral Victory”, Moscow Times du 12 août 2004.
56. J. Helmer “The Hero of Our Time Defends Corruption”, The Russia Journal du 12 janvier 2005.
57. R. Voilov, “Dobrye Al’fy”, Novaya Gazeta, n° 10, 2003.

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